Pour parler de l’Indo-pacifique il faut avant tout en définir les contours. Et déjà cela se complique car, selon que l’on parle géographie, économie, politique, militaire ... les contours ne seront pas les mêmes. De plus, si l’on parle par exemple de l’Indo-pacifique économique, ces contours pourront être différents selon le pays dont on parle.
La vision géographique est trop ample car elle définit l’Indo-Pacifique comme comprenant les deux océans et tous les pays ayant un littoral sur au moins l’un des deux océans. Il s’agit donc de 75 pays représentant 96 millions de km² soit 65% des terres émergées, auxquels s’ajoutent les 240 millions de km² des deux océans soit 48% de l’espace maritime mondiale. En termes d’habitants cela représente 75% de la population mondiale. Il faut donc se ramener à une vision plus raisonnable, plutôt géopolitique. On définit alors un espace à géométrie variable mais centré sur l’Inde, la Chine, l’Asie du Sud-est et l’Australie.
Nul n’ignore l’importance croissante de cette immense région sur quelque plan que ce soit. En conséquence chaque pays, pouvant y prétendre par son poids démographique et économique, à une stratégie dans la région. Les japonais en annonce les prémices grâce à Shinzo Abe dès 2007 (mais ne définissent leur stratégie qu’en 2020), puis l’Australie en 2013 suivi par l’Inde en 2018, inquiète des ambitions croissantes de la Chine et de son concept de « collier de perles ». En 2019 ce sont l’ASEAN, et les Etats-Unis avec l’Indo-Pacific Strategy Report (et l’annonce en 2022 du partenariat économique : Indo-Pacific Economic Framework, IPEF) et enfin l’Union européenne en 2021.
D’autres pays ont développé une stratégie de moindre importance. La Chine a rejeté le concept d’Indo-Pacifique considérant que ce remplacement de l’ancien terme d’Asie-Pacifique était la marque délibérée d’une volonté occidentale d’ignorer son importance dans la région. Extrêmement présente, l’important pour la Chine est de développer en Indo-Pacifique des accords de partenariat (récemment avec les iles Salomon), des zones de libre-échange (le dernier : RCEP fin 2020), d’y montrer sa puissance et surtout sa volonté d’y dominer les Etats-Unis. La Russie moins impliquée, et avec une flotte du Pacifique limitée, a dans la région une présence modeste mais attentive.
La stratégie Indopacifique de la France
La France est le seul pays présent sur toutes les mers du globe. La zone économique exclusive (ZEE) qui prolonge les cotes de chacune de nos possessions jusqu’à 370 kilomètres en mer autour de chacune de nos possessions représente au total 2 millions de kms² dans l’Océan Indien et 7 dans le Pacifique.
C’est donc sur 9 millions de kms² que nous exerçons nos droits souverain et économique. Cette ZEE recèle un potentiel considérable énergétique, minéral et biologique à l’heure ou le cours des matières premières et des métaux rares s’envolent. Il y a aussi une certitude de présence d’hydrocarbures dans le canal du Mozambique et d’ ressources halieutiques. Le fait que nous exercions notre souveraineté sur un espace aussi vaste nous donne un avantage considérable par rapport aux autres pays. La population française en Indo-Pacifique est estimée à 1,6 million. La région est divisée en cinq commandements militaires, répartis entre trois forces de souveraineté et deux forces de présence. Leurs missions sont d’assurer l’intégrité et la protection de notre territoire et le respect de notre souveraineté.
La force du dispositif militaire français est de s’articuler autour d’un réseau dense et cohérent de bases permanentes, et de mener des actions de partenariat militaire opérationnel et des entrainements conjoints avec les pays alliés. L’époque n’est plus au rejet d’une France qui passait pour néo-colonialiste. Face à la puissance chinoise conquérante elle est perçue comme un élément stabilisateur de la région. Elle participe à un très grand nombre d’organisations inter-gouvernementales culturelles, économiques , militaires. La position française au sein de l’Union européenne s’est dégradée progressivement avec la présence de 27 membres, l’atlantisme devenue majoritaire, l’économie d’inspiration anglo-saxonne, sa volonté peu suivie d’une souveraineté européenne, son positionnement réservé sur la guerre en Ukraine et son attitude face à la Russie.
L’Indo-Pacifique est une alternative de choix à ce relatif déclin au sein de l’Europe, puisqu’elle est le seul pays de l’UE souverain dans la zone et le seul pays européen bénéficiant d’un outil militaire opérationnel. Le maintien de relations de confiance et de respect des susceptibilités locales s’avère indispensable. Éviter par exemple d’élaborer des stratégies depuis Paris sans consulter les responsables locaux car elles risquent d’être mal acceptées, donc mal appliquées. L’importance stratégique croissante de l’Indo-Pacifique est l’occasion unique pour la France de réaffirmer indirectement son rôle de grande puissance européenne et maritime. Les obstacles sont nombreux : l’éloignement de la métropole est le premier.
Mais le plus gros problème porte sur le poids économique très faible de ces Collectivités Françaises de l’Indo-Pacifique (CFIP), le commerce extérieur étant quasi inexistant, et donc la dépendance aux financements de la métropole. Malgré des transferts conséquents la précarité sociale subsiste. Mise à part la Nouvelle Calédonie les CFIP sont dans un état de dépendance critique aux biens de consommation provenant de l’extérieur. Il n’y a pas de menace directe contre ces territoires d’outre-mer mais il peut y avoir des tentatives sournoises de déstabilisation, de subversion ou d’exploitation des tensions sociales Aussi, conscients de l’importance stratégique croissante de la région pour notre pays nos gouvernements intensifient les actions de sécurité et de surveillance, mais aussi les démonstrations de puissance et d’interopérabilité.
D’après un récent entretien (IFRI le 5 mars) il semblerait que le renforcement des relations avec les partenaires de l’Indo-Pacifique constitue un volet important de l’agenda OTAN 2030.
Par François à partir d’internet et des conférences suivies